
Séjour au gîte de La Châtaigneraie
Episode 1 Une colonie de vacances pour les vieux ?
« Hé la vieille regarde où tu vas !!! »
Colette sursaute et se précipite sur le trottoir d'en face. Serrant son sac à main contre son torse, elle essaye de reprendre son souffle. Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas remarqué que le feu était passé au vert et n'avait pas entendu les klaxons de la file de voitures qui attendaient pour passer. Mais tout de même, il n’y avait pas de raison d'être grossier. Elle devrait lui dire sa façon de penser. Ce n’est pas parce qu’elle n’est plus dans la fleur de l’âge qu’il peut se permettre de s'adresser à elle de la sorte ! Prenant une grande inspiration, Colette pivote sur ses talons pour faire face à l’automobiliste impoli. Malheureusement il est déjà loin. Elle grommèle en réajustant la sangle de son sac sur son épaule et reprend son chemin. On l'attend quelque part et elle ne veut surtout pas arriver en retard.
Il y a quelques semaines, Sacha lui avait rapporté un flyer du Centre Communal d’Action Sociale où il faisait du bénévolat en tant que juriste. Il n'arrêtait pas de lui rabacher que c'était une super opportunité pour elle, que la standardiste lui avait présenté l'Association Siel Bleu, qui intervient pour donner des cours d’activités physiques et propose également des séjours pour les personnes de plus de 60 ans avec plein d'activités. Les mots exacts de son fils avaient été :
« Une colonie de vacances pour vieux quoi ! Ça te ferait du bien de passer du temps avec d’autres personnes et de t’amuser un peu. »
Elle avait été vexée que son fils suggère qu'elle ait sa place parmi les « vieux ». Les jours passaient et ses yeux se posaient à chaque passage sur le prospectus qu'elle avait laissé dans l'entrée de son appartement. En revenant du marché les bras chargés ; en partant faire sa balade quotidienne ; au moment de prendre son tablier suspendu au porte-manteau pour aller à son cours de poterie. Les visages souriants des personnes en tenue de randonnée qui posaient dos au bord de mer, les joues rosies par l'effort, semblaient heureux. Au fond d'elle l'envie de faire partie d'un groupe et de s'amuser la tenaillait. Un après-midi, alors qu'elle essayait de se concentrer sur l'intrigue de son livre, ses pensées la ramenaient inexorablement vers la commode dans l'entrée. N'y tenant plus, elle avait saisi son téléphone et composé le numéro indiqué pour s'inscrire.
La vie était un peu différente depuis quelque temps. Son mari avait demandé le divorce, ce qu'elle avait accepté immédiatement. Ils s'étaient éloignés rapidement après la naissance de Sacha et avaient implicitement convenu de rester ensemble pour lui. Maintenant qu'il était en âge de comprendre, elle pouvait être seule pour la première fois en quarante ans. Seule, oui mais pas à ce point. Tous leurs amis avaient pris le parti de son mari. S'apercevoir qu'ils n'avaient jamais vraiment été proches lui avait brisé le cœur et, avec son passage à la retraite, elle s'était retrouvée chaque jour un peu plus isolée.
Elle avait suivi de nombreuses activités pour seniors organisées par la ville. Elle a essayé l’aquagym mais ne supportait pas d’avoir les cheveux mouillés ; la marche nordique mais elle a arrêté à cause des ampoules ; le club de lecture mais les autres participantes parlaient plus de leur vie que du livre de la semaine. Petit à petit, Colette s’était installée dans un quotidien solitaire rythmé par le marché, l'entretien du jardin qu’elle a sur le toit de son immeuble, les visites de Sacha, et les cours de poterie où elle reste à son tour, modelant vase après vase. Quelques fois elle garde Ignatius le chat persan de sa voisine lors de ses déplacements professionnels.
Le mois écoulé lui avait donné le temps de penser et de tourner sa décision dans tous les sens. Et si c’était une mauvaise idée ? Si elle ne s’entendait avec personne ? S’ils se connaissaient déjà et qu’elle se sentait exclue ? C’est en ruminant ces questions que Colette entre dans le centre social où se déroule la réunion de présentation du séjour.
****
Dans la salle indiquée par la lettre confirmant l'inscription, une jeune femme se tient derrière une grande table proche de l’entrée sur laquelle repose une affiche avec deux femmes grisonnantes tout sourire équipées de bâtons de randonnées.
« Bienvenue, je suis Sophie, on s’est parlé au téléphone. » Avec un grand sourire elle se penche vers la liste qu'elle tient dans la main. « Tu dois être Colette ? Tiens, prend cette étiquette avec ton prénom. On attend encore les derniers et on va pouvoir commencer. »
Colette se saisit de l'autocollant en grimaçant, à tous les coups, la colle va abîmer le cachemire de son chandail. Elle se dirige vers les chaises disposées en cercle et dépasse une table sur laquelle repose un cake aux fruits confits en tranches, des gobelets en cartons, des bouteilles de jus de fruits ainsi qu’un pot de café. La plupart des places sont déjà occupées alors elle choisit celle qui est libre entre un homme un peu vouté qui tient fermement le pommeau de sa canne entre ses mains et une femme aux cheveux teints couleur prune. Colette sourit poliment à l’un puis à l’autre avant de prendre place posant son sac en cuir sur ses genoux. L’homme la salue d’un hochement de tête tandis que la femme la fixe intensément.
« Oh mon dieu ! Tu t’appelles Colette c’est bien ça ? » s’écrie-t-elle soudainement. Colette déconcertée s'écarte avant de reprendre contenance.
« Excusez-moi, on se connait ? » demande-t-elle, resserrant sa prise sur son sac.
« Oh voyons pas de ça entre nous ! Je suis aussi dans le cours de céramique du jeudi soir à l’atelier Les Empotés. Je suis contente de voir un autre visage familier ici. Surtout que ça veut dire que tu vas faire partie de l’aventure ! Ça va être génial. J’ai vraiment hâte ! Et Sophie a l’air vraiment sympa. Apparemment il y aura toute une équipe avec nous mais les autres personnes ne seront pas présentes aujourd’hui. Ça laisse planer un mystère, que c’est excitant. Par contre le cake aux fruits confits … »
Lancée dans son monologue la femme à la tignasse colorée agite les mains pour ponctuer chacune de ses phrases. Incapable de suivre le flot de paroles, Colette réfléchit un instant, ce dynamisme ne laisse aucun doute du fait qu'il s’agit d’Annabelle. D'ordinaire, un visage familier est généralement rassurant mais ici elle n'est pas sûre que ce soit le cas.
« Comment avez-vous entendu parler de ce séjour ? »
« Rhô je te l’ai dit ici on se tutoie ! C’est Marie, ma prof de sport qui m’en a parlé, elle donne des cours au centre social. Oh tu devrais venir aussi ! On est tout un groupe de copines que tu vas adorer. On a même organisé un Secret Santa l’an dernier. Le thème était… »
« Bien maintenant que nous sommes au complet nous allons commencer ! » Sophie se place au centre du cercle pendant qu’une femme fluette aux habits couleurs pastels et un homme les yeux rivés sur un smartphone imposant s'asseyent.
« Merci à toutes et à tous d’être venus aujourd’hui. Je vous propose de faire un tour de table puis je vous présenterai le programme pour cet après-midi. »
****
La dizaine de participants gravitent autour d'une table sur laquelle sont étalées des cartes illustrées représentant des scènes fantastiques dans un style très coloré. La consigne est d’en choisir une qui illustre l’objectif le plus important pour soi à l'aune du départ. Colette faisant le tour de la table fait glisser vers elle une carte qui représente un éléphant apeuré piégé dans une toile d’araignée géante. Elle fait mine de scruter la table mais se sent désemparée ne sachant pas ce qu'on attend d'elle. Doit-elle dire la vérité, qu'elle n'est pas sûre de vouloir être ici ? Ou inventer une histoire qui colle avec celle des personnes qui l'entourent ? Dans son discours Sophie a expliqué qu'ils passeraient une semaine dans un gîte en Dordogne, qu'un programme d'activités avait été préparé mais qu'il ne leur serait révélé qu'au jour le jour. Ce dont ils pouvaient être sûrs c'est qu'elles tourneraient autour de l'activité physique, de l'alimentation, le tout dans la convivialité. Certaines étaient obligatoires et il y avait beaucoup de temps libre prévu chaque jour. Sophie interrompt ce tourbillon de questions en signalant la fin du temps de réflexion, invitant tout le monde à se remettre dans le cercle pour partager son choix. Pendant ce temps, les autres ont pour la plupart pioché une ou deux cartes. Au passage, elle en prend une au hasard.
Annabelle prend la parole en premier, de sa haute taille elle surplombe l'assistance faisant cliqueter ses nombreux bracelets en métal et pierres fantaisies à chaque mouvement. Avec un grand sourire, elle montre sa carte.
« Bonjour tout le monde, je suis si contente de faire partie de cette aventure avec vous toutes et tous ! On va tellement s'amuser j'en suis sûre ! Alors comme vous pouvez le voir ma carte représente un arbre au milieu d'un champ dont les feuilles sont des enveloppes multicolores et si je l'ai choisi c'est parce que je trouve que ça représente exactement l'envie que j'ai de me faire de nouveaux amis et surtout des souvenirs incroyables qui s'ajouteront à l'arbre de ma vie. Du haut de mes 65 ans j'ai eu la chance de parcourir le monde et chaque expérience m'a nourri à sa manière pour me permettre d'aller toujours plus loin. Comme lorsque je me suis retrouvée en haut d'une montagne avec pour seul... »
« Merci Annabelle » la coupe Sophie avec un sourire appuyé, « Continuons dans le sens des aiguilles d'une montre si vous êtes d'accord. »
« Oh pardon, je suis toute excitée et je m'emballe. » conclut Annabelle avant de s'asseoir avec un petit rire.
Sophie fait signe à la prochaine personne de se lever. Les participants se succèdent, présentant à tour de rôle leur carte et sa signification. Parmi eux une femme avec une longue tresse de cheveux noirs et qui arbore un grand sourire.
« Salut ! Moi c'est Fatma ! Un peu comme Edith » dit elle en désignant la femme menue à sa droite, « ce que j'attends avec ce séjour c'est ne plus subir les douleurs héritées de mes longues heures en bloc opératoire. Attention hein, ne vous faites pas d'idées j'étais infirmière, pas médecin ! » rit-elle à ses mots. « Donc ma carte est une silhouette de nuages qui marche, j'aimerai me sentir à nouveau légère, quoi ! Et je suis trop contente de retrouver ma copine Edith, on ne s'était pas vues depuis super longtemps. Le monde est si petit.» Elles échangent un sourire complice.
« Hello ! Mon nom est Rose-Jane mais vous pouvez m'appeler RJ. J'ai pris le bonhomme qui monte la licorne pour passer sur le pont arc-en-ciel parce que j'aime l'aventure et découvrir de nouveaux choses. A mon accent ou peut-être à mes cheveux, vous pouvez peut-être comprendre que je viens d'Irlande et que je suis en France depuis un peu moins de sept ans. » conclut-elle en passant une main dans ses boucles rousses.
« Bon, moi j'ai pas trouvé ça facile et j'ai pris ça mais je suis pas à cent pourcent raccord. » Une femme en tailleur se lève faisant rebondir ses méches blondes permanentées. « Mon objectif c'est de savoir comment faire pour que le prédiabète que les médecins pensent que j'ai soit sous contrôle. Donc j'ai pris la vieille qui est au-dessus de son chaudron et qui y met des planètes ou des courges je ne sais pas trop. » soupire-t-elle en se laissant retomber sur sa chaise.
Vient le tour de Colette qui se racle la gorge et essuie ses paumes moites sur son pantalon. Elle ne sait toujours pas quoi dire. En écoutant les autres, elle a essayé de trouver un sens à la représentation d'un cocker spaniel au pelage noisette coiffé d'un chapeau melon et portant un monocle, se tenant fièrement devant une galerie de portraits de canidés issues de la noblesse. Les autres ont une bonne raison d'être ici mais elle ne se remet pas d'une blessure, il n'y a rien à redire sur ses habitudes alimentaires et comme pour toutes les activités qu'elle avait pu essayer depuis quelques mois, elle n'est pas très enthousiasmée à l'idée de passer une semaine avec des inconnus au milieu de nulle part.
« Je euh ... »
Elle se force à détacher son regard de ses mains. « Je m'appelle Colette, je n'ai pas eu le temps de bien choisir parce que ... » Elle se tourne vers Sophie et prend une grande inspiration. « Je me suis inscrite parce que mon fils pense que j'ai besoin de voir des personnes de mon âge et de ... euh d'essayer de nouvelles choses. »
« Tu as tout à fait ta place parmi nous. Comme je l'ai dit plus tôt, les objectifs de chacun peuvent être différents mais ce que nous allons tous faire consistera à découvrir comment se nourrir et bouger en fonction de ses besoins tout en passant un bon moment ensemble. » la rassure la responsable du séjour.
Le départ se fait au compte-goutte et alors que Colette passe l'anse de son sac à main sur son épaule, Annabelle interrompt son geste. « C'était courageux de ta part de dire ce que tu avais sur le cœur. Je suis sûre que ça va être une semaine époustouflante et ne t'inquiète pas je serais là pour que tu ne t'ennuies jamais. A bientôt ! » dit-elle joyeusement avant de s'éloigner. Ce qui se voulait réconfortant, étrangement, ne permit pas à Colette d'être moins inquiète.
Rédaction : Aurélie El-Aïdouni