Série de l'été - épisode 5


Séjour au gîte de la Châtaigneraie

Episode 5 - Atelier Découpage-Collage

 

« Laissez s'exprimer votre créativité ! Il n'y a pas de réponse parfaite, il n'y a que ce que vous allez faire apparaître sur votre toile qui sera l'expression de votre moi profond. » La femme noire d'une quarantaine d'années passe entre les tables pour distribuer les feuilles A3 qui serviront de toile à chaque participant. Sa longue robe blanche recouverte de dessins d'enfants et ses locks virevoltent autour d'elle alors que ses larges bracelets métalliques l'accompagnent mélodieusement.

 

Sophie a introduit Théodora Alma comme art-thérapeute venue animer un atelier sur les représentations de chacun sur le passage à la retraite. Diego tourne et retourne la consigne dans sa tête, « Quelle serait la meilleure façon d’être à la retraite ? »

 

Il n'en sait rien. Il ne s'est jamais projeté en dehors de son quotidien. Après quarante années passées à l'usine de fabrication de bouchons de liège, il n'avait pas les moyens de continuer à louer son appartement alors il a dû emménager chez sa sœur. Elle, son beau-frère, son neveu et sa nièce encore adolescents, l'ont accueilli à bras ouverts. Il a sa propre chambre mais souffre parfois de ne pas avoir son endroit à lui.

 

Il voit de temps en temps d'anciens collègues au café mais ils sont de moins en moins nombreux avec les années. Il y va tous les jours, s'assied à sa table pour regarder le sport à la télé qui est toujours allumée ou discuter avec le propriétaire dont le père était un de ses amis. 

 

C'est ça sa retraite. Depuis qu'il a quitté le Brésil pour la France au moment de la crise économique de 1980. Seul il avait dû recommencer à zéro pour pouvoir enfin s'en sortir. La réalité a été bien différente de ce qu'il avait imaginé. Il avait été heureux de trouver un emploi dans l'usine de transformation du liège sur la côte basque. Le travail répétitif avait eu raison de son dos puis de ses genoux, jusqu'à finir voûté ayant besoin d'une canne pour marcher. 

 

Théodora va d'une personne à une autre et pose des questions, mince il doit s'y mettre. Il ôte son chapeau et se saisit du matériel à disposition, des magazines, des ciseaux, de la colle et des feutres. Diego se met au travail, découpant, collant, traçant des lignes, coloriant ici et là. La tête vide, il travaille de façon mécanique. Il s'affaire, choisit des photos, des mots dans les magazines, les découpe et les assemble sur la feuille A3 qui lui sert de toile.

 

En face de lui se trouve Thérèse et Colette, la première découpe des phrases, des mots, des lettres et les positionnent de façon très ordonnée. Diego ne peut pas lire ce qui est inscrit mais discerne des colonnes d'un tableau. La seconde agence des images les unes par rapport aux autres. Le tout forme une fresque retraçant ce qui semble être une histoire. Diego regarde son propre travail, un panaché de couleurs vives et de textures. Il n'a pas vraiment élaboré ce qu'il faisait mais il aime le jeu des nuances et des ombres qui donne une impression de perspective, de profondeur entre les motifs. 

 

« Le temps est écoulé ! » indique Théodora en faisant des signes avec ses bras qui font carillonner ses bracelets. « J'espère que l'expérience vous a plu et aura pu vous apporter quelque chose. Maintenant je propose à celles et ceux qui le souhaitent de venir faire une présentation de leur œuvre au groupe. » 

 

A ces mots, Hortense se lève serrant dans ses poings la feuille face contre elle. Elle est plus pâle que d'habitude et au moment de prendre la parole elle laisse échapper un sanglot et sort en courant de la pièce. Stupéfaits, personne ne bouge pendant un moment avant que Julie ne parte à sa suite.

 

****

 

A l'issue de la présentation de certaines réalisations, il était l'heure du déjeuner. Chacun se sert dans les grands bacs métalliques encore chauds contenant les plats végétariens préparés par Miguel.

 

Diego est assis avec Basile qui bidouille son pilulier en forme de grenouille, il a essayé d'expliquer à Diego comment fonctionne le mécanisme rotatif à l'intérieur mais sans que cela ne l'intéresse. 

Diego repense à la matinée et aux commentaires sur son travail. Il s'en voulait de ne pas avoir respecté la consigne mais il ne savait sincèrement pas comment répondre à la question. Théodora n'a pas semblé s'en offusquer et après que Leonora ait présenté son souhait d'avoir une grande maison pleine de rire et de musique et Rose-Jane son envie de passer plus de temps dans la nature, elle a proposé à chacun de repartir avec son œuvre. 

 

Il fixait la sienne sur la table à côté de lui. Il ne savait pas si elle était réussie, il avait reçu plusieurs compliments sur la composition et le choix des couleurs, mais il l'avait fait sans réfléchir. Ce dont il était sûr c'est qu'il avait aimé passer ce temps à créer. Il se sentait détendu et ses pensées étaient plus calmes comme lorsqu'il sculptait des animaux dans les chutes de liège pour ses neveux et nièces. 

 

Thérèse et Fatma les rejoignent à table. 

« Vous savez ce qui s'est passé avec Hortense ? » demande Fatma tout bas. « Elle est toujours si cynique, c'est étrange de la voir comme ça. »

« Je crois qu'elle a des problèmes personnels. » répond Basile à mi-voix en lançant un regard en coin à sa femme, qui lui fait comprendre d'un signe de tête qu'il ne doit pas en dire plus. Fatma s'apprête à ajouter quelque chose lorsque Leonora et Annabelle entrent dans la salle en portant un gâteau recouvert de bougies et chantant Joyeux Anniversaire. Tous les regards se tournent vers elles alors qu'elles se dirigent vers une Colette rouge pivoine recroquevillée sur elle-même. Ses deux amies ne semblent pas s'en émouvoir et entraînent l'assistance à chanter avec elles. 

 

« Joyeux anniversaiiiiiireeeeee Coleeeeeetteeee !!! » Leonora pose le fraisier recouvert de bougies allumées au centre desquelles flamboie un cône qui crache des étincelles dans tous les sens. Le visage de Colette est baigné de lumière, les yeux qui pétillent, elle se redresse. 

« Vas-y fait un vœu. » 

 

Elle ferme les yeux avant de souffler les bougies sous les applaudissements lancés par Basile, qui l'appelle à faire un discours. Embarrassée, elle se racle la gorge avant de prendre la parole. 

« Je euh ... Merci, je suis très touchée. C'est une surprise ! » prenant un peu plus confiance, Colette poursuit. « Je comprends qu'on a entendu le message vocal de mon fils à propos de mon anniversaire. Par contre vous n'avez pas dû comprendre le chiffre parce que j'ai 65 ans, pas 80 ! » s'exclame-t-elle en désignant la multitude de bougies fumantes. La salle explose de rire pendant que Miguel commence à découper le gâteau et que Fatma lui tend une enveloppe et un paquet cadeau. 

Diego se lève pour se joindre à la fête quand soudain il se fige, surpris. C'est la première fois depuis une éternité qu'il arrive à se mettre debout sans s'appuyer sur sa canne. Il laisse un peu de son poids reposer contre la table et apprécie ces sensations retrouvées. Il sent ses muscles se contracter pour l'aider à garder sa posture. Toute cette activité aura porté ses fruits. Il se sent moins frileux à l'idée de s'aventurer sans les autres autour du gîte. Le risque de tomber reste présent mais il sait qu'il peut faire attention sans limiter ses mouvements comme il avait tendance à le faire depuis que sa santé avait décliné. Peut-être pourra-t-il participer à la randonnée de cet après-midi.


 

****

 

Bercé par le chant des oiseaux, Diego avance tranquillement sur le chemin qui borde les champs de tournesols. La randonnée a commencé depuis environ une heure et la petite troupe chemine tranquillement sur la route touristique de Hautefort. Basile, RJ et Sophie ont pris la tête de la marche les menant à travers des bosquets, des prés remplis de vaches marrons accompagnées de leur veau et de villages bucoliques. Ils s'approchent justement de l'un d'entre eux, Saint-Bolet gravé dans un bloc de roche blanche indique l'entrée d'une petite commune traversée par une rue principale. De part et d'autre des habitations aux murs tantôt en pierres apparentes tantôt recouverts de crépi colorés par les bacs de fleurs suspendus aux balcons et aux volets terre de Sienne. Au bout de la rue, une place est entourée d'une petite mairie, d'une pharmacie et d'un bar avec un coin épicerie. Au centre la place entourée de tilleuls, une fontaine représentant un champignon en fer forgé dont les jets cascadent le long de son pied finissant leur course dans un large bassin. 

 

Diego se dirige vers la fontaine où se trouvent Fatma, Basile, RJ et Julie, battant des pieds dans l'eau fraîche. Annabelle à sa suite, claudiquant jusqu'au bord du bassin pour ôter sa chaussure gauche et appliquer les pansements qu'elle vient d'acheter à la pharmacie afin de soulager ses ampoules. Les autres sont encore à l'intérieur du bar à siroter leur verre profitant de la pause à l'ombre par cette chaude journée d'été. Julie avait lancé son énième rappel pour remettre une couche de crème solaire et remplir les gourdes d'eau. Les quelques passants et voitures les regardent avec curiosité alors qu'ils se tartinent le visage et les bras. Basile plonge son bob multicolore coiffé d'une hélice dans l'eau avant de le replacer d'un geste vif sur sa tête éclaboussant au passage Fatma et Diego, qui sursautent avant d'éclater de rire. 

Le groupe se scinde en deux. Une partie continue sur la route touristique tandis que l'autre fait une plus petite boucle et s'apprête à s'engager sur un chemin de terre pour rejoindre directement le gîte. Par ordre de marche  par ordre de marche Wahid en tête, Edith, Diego, Annabelle, Julie et Hortense s'enfoncent dans la forêt. Cette dernière est mutique depuis le matin et traîne des pieds à l'arrière. 

 

La température est plus fraîche sous le couvert des arbres et le pas plus léger. Annabelle boitille légèrement et Edith qui se déplaçait difficilement au début de la semaine ne semble pas peiner. Les conversations vont bon train, Edith analyse la végétation qui les environne, répond aux questions de Wahid et prend en photo chaque fleur qu'ils croisent pendant que Julie parle de ses chiens qui lui manquent. Après plusieurs bifurcations, le chemin devient moins entretenu, Diego doit faire plus attention avec sa canne. Annabelle explique les différences entre la vannerie et le macramé lorsqu'elle percute une surface moite. Wahid, à l'arrêt le nez dans son téléphone, zoomant et dézoomant la carte du GPS. 

 

« Qu'est-ce qu'il se passe ? On est perdu ? » demande Edith

 

« Naaaan, je veux juste vérifier quelque chose. » Wahid fait pivoter son portable tournant sur lui-même et ignorant les autres. Hortense les rattrape à ce moment-là et après un regard interrogateur se laisse tomber mollement sur une souche les bras croisés. 

 

« On aurait dû tourner à gauche il y a vingt minutes. On se dirige à nouveau vers la route. » dit calmement Julie en montrant son propre appareil avec l'application ouverte et un tracé bleu qui indique la direction qui mène au gîte. 

 

Penaud, Wahid soupire « Désolé, mon téléphone a perdu le signal de notre localisation et j'ai pas fait gaffe. »

 

 « Bon ça va on n'est pas trop loin et puis il fait beau, on pourra en profiter plus longtemps. » fait Annabelle pour détendre l'atmosphère en lui tapotant le dos avant de s'essuyer discrètement la main sur son pantalon.

 


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