
Séjour au gîte de la Châtaigneraie
Episode 6 Concours de lancer de crêpes
Un peu plus tôt dans la matinée Julie était tout excitée de leur annoncer qu'elle avait une surprise pour la dernière journée. Après l'échauffement elle les avait conduits en lisière de la forêt à l'intérieur du domaine. Devant eux, des bottes de foin attachées aux troncs d'arbres alignés, orientés de telle façon à ce que personne ne puisse être accidentellement touché en passant derrière dans la forêt. Julie les avait répartis en binôme, confiant à chacun un arc et un carquois. Le hasard a fait que Hortense se retrouve avec Leonora qui chante chacune de ses actions. Julie fait la démonstration de la position à avoir, les pieds écartés et perpendiculaires à la ligne de tir. Les points importants : détendre ses épaules et maîtriser sa respiration. Situées à l'extrémité gauche de la zone sécurisée, elles échangent à peine quelques mots avant que Hortense ne s'aligne avec les autres. Elle se tient face à Colette qui se concentre le regard dirigé droit devant elle. Lorsqu'elle lâche la corde, Hortense fait de même et sursaute faisant pivoter l'arc vers le haut. Affolée, elle lâche l'arc et cherche sa flèche du regard entre les arbres mais finit par apercevoir la plume rouge qui tranche avec le vert de l'herbe, à quelques centimètres devant Colette. Après avoir interrompu la session de tir, Julie accourt vers elles. S'assurant que tout va bien, elle demande à tout le monde de faire attention.
« Concentre-toi sur ta cible et surtout pense à respirer. Fait le vide dans ta tête. » Écoutant les conseils de la prof, Hortense parvient à mieux contrôler la trajectoire de ses flèches mais sans toucher la cible. De nouveau seule, elle ferme les yeux et tente de se concentrer pour calmer sa respiration, cependant les encouragements de Basile pour Colette additionnés à Leonora assise derrière elle, qui fredonne en jouant avec les pâquerettes lui compliquent la tâche. Hortense commence à sentir les battements de son cœur s'emballer et ses mains devenir moites. Prenant une grande inspiration elle relâche la corde mais une fois de plus la flèche ne suit pas la direction souhaitée et se fiche dans le sol.
« Et merde ! »
Hortense jette son arc à terre et bouscule Leonora en s'éloignant brusquement du pas de tir. Elle se réfugie sous le couvert d'un tilleul et se laisse glisser le long du tronc tournant le dos à l'activité en cours. A travers le bourdonnement qui envahit ses oreilles, elle entend au loin les autres continuer comme si de rien n'était. Ses propres pensées la submergent. Hortense ne parvient plus à retenir ses larmes. Ramenant ses jambes contre son buste, elle sanglote. Même mettre une saleté de flèche dans une cible en paille, elle n'en est pas capable. Sa respiration est saccadée et elle sent qu'elle a de plus en plus de mal à remplir ses poumons. Elle n'entend pas la personne qui se dirige vers elle et tressaille lorsqu'une main se pose sur son épaule.
« Hortense, est-ce ça va ? » Diego se tient devant elle, les sourcils plus bas que d'habitude, il se penche tant bien que mal vers elle. « Je voulais voir comment tu vas. » Aucun son ne sort de sa bouche malgré ses efforts, le visage baigné de larmes, elle sent l'air lui manquer. Paniquée, elle saisit la main de Diego. Celui-ci s'assoit avec difficulté dans l'herbe et pose son autre main sur celle d'Hortense.
« Est-ce que tu veux bien respirer avec moi s'il te plait ? » Hortense ferme les yeux et se concentre sur la voix chantante de Diego. Elle s'agrippe à ses mains et essaye de caler le rythme de sa respiration sur la sienne.
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« A mon signal vous pourrez lire la recette et commencer à cuisiner. » Miguel donne les règles du concours qu'ils ont voulu faire pour le dernier déjeuner. Par équipe, ils sont rassemblés derrière un plan de travail et s'apprêtent à cuisiner ce qui compose leur prochain repas. Sur une table en face d'eux, les ingrédients dont ils ont besoin. Les plats ont été votés la veille et Miguel a trouvé une recette pour chacun d'entre eux. Sophie et lui se tiennent à l'écart, près à intervenir en cas de besoin.
Au signal, l'équipe du plat principal, un curry jamaïcain proposée par Leonora, est composée de Thérèse, Colette et Diego. Ils se précipitent vers les haricots cornilles et se mettent à cuisiner sous la coupe de Leonora.
L'équipe de l'entrée prépare des momos aux légumes, un plat népalais que Rose-Jane a appris à faire lors d'un contrat en Asie. Elle retrouve rapidement ses repères et dirige son équipe dans la confection des ravioles.
« You Fatma et Annabelle vous fait le pâte, Wahid avec moi pour faire le farce. » ordonne-t-elle avant de s'interrompre. « Euh si ça vous convient ? » Ils acquiescent avec un sourire et se mettent au travail.
Du côté du dessert, ce sont les crêpes qui ont été sélectionnées d'après la proposition d'Hortense. Julie, Edith et Basile l'entourent attendant nerveusement ses instructions.
« Oh, c'est bon, tout le monde sait faire des crêpes ! Vous pouvez vous débrouiller seuls ! » râle-t-elle agacée. Échangeant des regards gênés avec les autres, Basile se saisit lentement de la recette et commence à lister à voix haute les ingrédients dont ils ont besoin. Pendant qu'ils s'organisent, Hortense ne peut empêcher la vague de tristesse qui la submerge depuis quelques jours. Tout allait bien avant qu'elle n'arrive ici, elle allait bien. Elle avait les choses sous contrôle, le magasin fonctionnait dans une mécanique bien huilée. Les enfants apprenaient le métier et allaient à l'école. Le mari prenait sur lui pour s'adapter à la vie après son accident dans l'atelier de menuiserie. Elle était occupée et tout allait bien.
Puis il a fallu qu'elle fasse ce contrôle chez le médecin, une fichue prise de sang plus tard et la voilà malade. En un battement de cils, les enfants fraîchement diplômés veulent reprendre l'épicerie, elle devient trop vieille pour travailler, et cerise sur le gâteau elle a du diabète ! Enfin le docteur a dit prédiabétique et maintenant elle ne peut plus travailler, elle doit faire attention à ce qu'elle mange, doit faire du sport et arrêter de fumer ! Mais pour qui se prennent-ils ? Comme si elle allait changer toute sa vie en un claquement de doigt. Les garçons l'ont convaincu de venir ici pour qu'elle puisse s'amuser et apprendre à mieux prendre soin d'elle. Mais elle n'arrive pas à détourner ses pensées de ce qui la tracasse. Elle a essayé de discuter avec Thérèse avec qui elle a collaboré pendant des années et s'est sentie rejetée lorsqu'elle n'est pas venue spontanément vers elle. Les enfants ne répondent plus à ses appels et lui envoient des messages pour lui dire de profiter et de se détendre. En plus, depuis l'atelier de collage qui conviendrait mieux à des enfants de maternelle, elle se sent triste.
Alors la voilà triste et en colère, sans une clope depuis cinq jours à devoir faire des crêpes avec des gens parfaitement heureux, qui l'insupportent. Hortense n'a vraiment pas envie de se sentir comme ça. Elle voudrait pouvoir apprécier le moment, l'endroit est plutôt joli et tout le monde est gentil. Mais elle n'y arrive pas, c'est plus fort qu'elle, ça la broie de l'intérieur.
Elle les observe passer à l'action, ils font sauter les crêpes, rient en se défiant à qui la lancera le plus haut. Les odeurs des autres préparations la sortent de sa torpeur, la mine renfrognée elle se dirige vers la table des ingrédients et après quelques minutes de réflexion prend des fruits, un grand saladier, un couteau et une planche à découper. Hortense ignore les regards de son équipe et se place à l'extimité du plan de travail. Elle coupe, épluche, débite en morceaux kiwi, bananes, mangues, oranges, mûres & mirabelles.
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Le programme de la soirée est différent de d'habitude. La ville où avait eu lieu le marché s'est transformée le temps d'une nuit en une fête foraine. Les rues sont recouvertes de lampions et de guirlandes lumineuses suspendues, qui luisent faiblement dans le crépuscule. Sur la rue qui borde la rivière, des attractions et manèges, ainsi que divers stands, tels que jeux d'adresse et de vente de friandises. Tout le monde est présent et se disperse en petits groupes dans la foule.
Ainsi Annabelle, Fatma et Miguel s'engouffrent dans les auto-tamponneuses, prêts à en découdre. Tandis que Wahid et Julie vont faire le plein de sucreries. Un peu plus haut dans la ville, une musique entraînante est accompagnée d'applaudissements. De l'autre côté du pont, un quatuor joue pour les badauds qui tournoient sur les pavés. Leonora pousse un cri de joie et entraîne Rose-Jane par le bras vers la piste de danse. Entre la pêche aux canards et le chamboule-tout un carrousel un peu particulier gravite autour d'un pilier doré. A la place des chevaux, ce sont des animaux plus exotiques auxquels s'accrochent les enfants. Amusés, Colette s'installe sur le dos du crocodile, Diego choisit le panda, Thérèse et Basile chevauchent les tentacules du poulpe et Edith grimpe sur le raton laveur.
Hortense préfère explorer les lieux pour commencer et s'achète un paquet de popcorn salé. Elle sait qu'elle ne peut pas succomber à la barbe à papa et aux churros qui lui faisaient de l'œil. Elle a trop travaillé pour cela. Après tout, elle avait de quoi être fière. Au moment de présenter les plats, elle avait su expliquer devant les regards médusés de son équipe que la salade de fruits apportent des fibres, des vitamines et du sucre naturel au repas.
Mettant une poignée de popcorn dans la bouche, elle esquisse un sourire en voyant Colette penchée en avant pour agripper les narines d'un crocodile et Diego assis sur les genoux d'un panda en plastique. Hortense soupire en repensant à ce matin. Apparemment elle a fait une crise de panique. Cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Heureusement que Diego a su quoi faire, il lui a expliqué que son neveu avait l'habitude d'en faire quand il était petit et que toute sa famille avait appris des techniques pour l'aider à se calmer. Il lui avait proposé de marcher un peu, cela lui avait fait du bien. Elle se sentait mal de lui faire rater le tir à l'arc mais il lui a assuré que ce n'était pas un problème, que ce genre d'activité n'était vraiment pas son truc. Ils avaient discuté de tout et de rien. Enfin surtout lui. C'était étrange qu'il soit si loquace, lui qui avait été discret pendant toute la semaine. Elle sentait ses sens revenir à la normale et lorsqu'ils étaient arrivés au niveau du pré des moutons, elle fut surprise de voir un bélier s'approcher d'eux en trottant. Diego lui avait présenté Pâte d'amande, avec qui il s'était lié d'amitié. Elle rit de bon cœur lorsque le bélier donna un coup de tête dans la paume de Diego.
Après un tour de tous les stands, Hortense jette son dévolu sur le stand de tir à la carabine. Elle a une revanche à prendre et cette fois elle est sûre de son coup. Elle avait appris à tirer avec ses cousines lors des vacances d'été qu'elles passaient ensemble avec leurs grands-parents à la campagne. Elle tire un premier plomb qui vient éclater le ballon au centre de la cible.
« Pas mal ! » fait Thérèse avec un regard appréciateur.
« Humpf, tu viens me parler maintenant ? » sans se retourner Hortense tire une deuxième fois, éclatant un autre ballon.
« Oh allez … » fait Thérèse sur un ton léger. « Je suis désolée pour l'autre jour, c'était difficile pour moi de voir que tu étais là comme un rappel constant du boulot. On ne s'était jamais vu en dehors et c'est encore un sujet sensible… » ajoute-t-elle gênée.
« Ouais je vois ce que tu veux dire ! » renifle Hortense. « Bon tu joues ? »
« Voyons voir si ce tir était un coup de chance ! » la taquine Thérèse en prenant une carabine.