Série de l'été - épisode 3


 

Episode 3 - C’est l’heure de bouger

 

« Allez encore une fois, on lève les bras le plus haut possible ! Surtout on n'oublie pas de respirer ! » 

« Mppfff !!! » Edith souffle un grand coup, elle sent quelques gouttes de sueur perler sur son front. Au bon sang on n'en est qu'à l'échauffement. 

Ils sont en cercle autour de Julie, appuyés sur le dossier d'une chaise à s'étirer dans tous les sens. Une petite enceinte diffuse un son techno synchronisé sur le rythme des exercices qu'ils doivent exécuter.

Comme à son habitude, Edith s'était levée au petit matin. La veille elle était rapidement allée se coucher, à peine remise de ses émotions après le tour de Basile. Elle ne supportait pas la vue du sang et avait été impressionnée par le stoïcisme de Colette face à une telle situation. Elle avait fait quelques étirements pour détendre sa cheville blessée. Il semblerait que vouloir porter un cache pot en céramique de dix kilos trop volumineux pour l'ascenseur sur cinq étages ait été une mauvaise idée, d'autant plus à soixante-dix ans. Ses filles avaient montré leur désaccord et la cadette avait été prête à revenir de Corée du Sud où elle étudie mais Edith l'en avait dissuadé, elle pouvait s'occuper d'elle-même. En utilisant l'ascenseur et en se déplaçant en voiture elle avait réussi à maintenir son autonomie. 

 

« Attends tu arrives à toucher tes pieds toi ? » Fatma se tient pliée en deux forçant autant que possible pour que le bout de ses doigts effleurent ses chevilles. Edith éclate de rire devant le visage rouge de son amie, elle ressemble à un croisement entre une tomate et une grenouille. 

 

« Très bien l'échauffement est terminé on va s'asseoir. Est-ce que tout le monde va bien ? » Julie parcourt la salle du regard pour s'assurer que chaque participant est en capacité de continuer la séance. Annabelle et Leonora se déhanchent sur la musique pendant que les autres discutent ou reprennent leur souffle. 

 

« Super, on va se remettre debout derrière les chaises cette fois. Je vais vous montrer les gestes que vous allez reproduire. » Julie se place derrière sa chaise. « Appuyez-vous sur le dossier si vous en avez besoin. Ensuite on va venir lever la jambe droite et plier le genou tout en ouvrant vers l'extérieur, comme ceci. Allez c'est parti ! »

Edith s'appuie sur sa chaise pour se concentrer au maximum afin de reproduire le mouvement. Depuis sa place, Diego fait non de la tête à Julie qui lui propose une alternative assise. Ils discutent un moment puis Julie tape dans ses mains. « On passe à la jambe gauche ! » 

 

« Je me serais pas douté que c'était aussi fatiguant de rester sur une chaise. » Fatma expire bruyamment. Edith ne peut que hocher la tête pour répondre, elle vient d'ingurgiter la moitié de sa gourde. Julie continue ses démonstrations, allant jusqu'à leur faire répéter des séries entières d'enchaînement. Galvanisée par les encouragements de Julie, Edith réussit à faire la plupart des enchaînements. 

« Bon travail tout le monde ! On va s'étirer un peu pour finir et faire un petit jeu. »

 

« Non ! Courgette a déjà été dit ! »

Fatma bondit de sa chaise, elle est déterminée à gagner. Ils se passent un ballon et doivent dire un légume ou un fruit sans répéter ceux qui ont déjà été dit. Et elle en est sûre, Colette avait dit courgette il y a 3 tours. Sa mémoire est son point fort. Après vingt ans comme infirmière de bloc opératoire, elle avait été capable de retenir chaque étape d'une procédure durant plusieurs semaines. Elle regarde Edith pour avoir son soutien mais son amie tripote son bracelet, un tic nerveux qu'elle lui connait bien. 

« Est-ce ça va ? » Fatma chuchote, faisant sursauter Edith. Les autres avaient recommencé à lancer le ballon. 

« Humm. »

« Qu'est-ce qui te tracasse ? Ça s'est bien passé, non ? Tu n'as pas forcé sur ta cheville ? »

« Oui mais je ne sais pas si ça va suffire. » Edith tourne ses yeux humides vers son amie. « Si ça ne règle pas le problème, est-ce que je vais avoir mal pour toujours ? » Fatma place sa main sur le bras d'Edith pour la réconforter. 

« C'est le premier jour, recommencer à faire de l'exercice ne va pas tout changer comme par magie. »

« Je me sens tellement en retard par rapport à vous tous ... » Edith est interrompue par Julie qui clôture le cours.

« Merci, c'était un bon premier cours. N'oubliez pas qu'on se retrouve ici tous les matins. »

 

****

 

« Oh ! Faut absolument que tu goûtes, ce truc, c'est des mirabelles. » Fatma enthousiaste enfourne une poignée de petits fruits orange dans la main d'Edith et se retourne vers le maraîcher. « Vous savez où on doit aller pour tester des produits locaux ? »

L'agriculteur lui indique un étal qui propose des noix sous toutes ses formes, un traiteur qui cuisine avec les produits du terroir, un autre encore avec des saucissons et rillettes. Rose-Jane, Leonora, Basile, Colette et Annabelle ont déjà jeté leur dévolu sur la charcuterie alors elles décident d'aller au Palais de la Noix. Sous un large auvent à rayures rouges et jaunes, le nuciculteur leur propose de déguster certains de ses produits. 

« Sur ce plateau, vous aurez une délicieuse pâte à tartiner. Elle est composée d'un mélange de miel et de cerneaux de noix. Plus traditionnel, on a le gâteau de noix et enfin, à consommer avec modération, le vin de noix. Laissez-vous séduire par son doux parfum et sa couleur ambrée. »

 

Edith ferme les yeux pour savourer le parfum du jasmin, elle n'était pas allée sur un marché depuis ce qui lui semble une éternité. Le soleil est déjà haut dans le ciel dégagé mais une brise venant de la rivière qui s'écoule en contrebas de la place rafraîchit agréablement l'air. Le marché est dans une petite ville à une dizaine de kilomètres du gîte. Ils avaient voulu profiter du temps libre après le réveil dynamique pour explorer les environs et c'est par hasard qu'ils étaient tombés sur cette bourgade aux rues pavées, aux maisons en pierres ocres et aux volets bleus. Le marché était sur une grande place devant l'hôtel de ville, décorée de bacs fleuris. En passant le pont dans le mini van d'Annabelle, ils s'étaient dit que goûter les produits régionaux serait une bonne façon d'occuper leur temps. 

 

« Je vois que vous faites des infidélités à ma cuisine. » Tout le groupe se retourne de concert. Ils ont tous dans les mains une fourchette plongée dans une barquette de pomme de terre à la Sarladaise et face à eux se tient un homme d'une trentaine d'années petit, les cheveux mi-longs noirs décolorés aux pointes, des tatouages dépassant de son t-shirt, qui les toise le sourcil arqué, les bras croisés. 

« Désolé Miguel mais c'est vraiment trop bon ! » répond Annabelle avant de se resservir tout de suite suivi par les autres qui font abstraction du chef cuisinier. 

« Faites-moi goûter au moins !» s'exclame-t-il.

 

****

 

De retour les bras chargés de leurs achats le petit groupe avait retrouvé Thérèse et Diego en compagnie de Lisa, l'une des propriétaires du gîte. A genoux dans le potager, les deux femmes ramassaient carottes, laitues et radis, tandis que Diego, assis sur une chaise, triait une caisse de haricots verts. Il s'interrompt régulièrement pour caresser Mocha, le border collie grisonnant pelotonné à ses pieds. 

Fatma sourit en repensant au visage d'Edith qui s'est illuminé à la seconde où elle avait vu le carré réservé aux plantes aromatiques et médicinales. Ses plantes lui manquaient vraiment. L'après-midi était passé doucement, ils avaient ensuite aidé Camille, la femme de Lisa, avec le troupeau de mouton remplissant les abreuvoirs et les racks à foin dans le pré clôturé derrière le bâtiment principal. Rose-Jane avait sauté sur l'occasion de montrer ses talents de tondeuse, réalisant des coupes aux motifs géométriques sur les flancs des bêtes. Pendant ce temps Annabelle faisait un exposé sur le graffiti et son histoire. Apparemment cela fait partie des nombreux stages créatifs qu'elle a suivis depuis qu'elle est à la retraite. 

 

Plus tard Sophie avait initié un quiz autour des matières grasses et des produits laitiers et Fatma avait été choquée d'apprendre que le beurre était meilleur pour la santé que la margarine qui occupait depuis plus de vingt ans une place dans son frigidaire. Elle avait également commencé à comprendre les risques liés à l'habitude qu'elle avait prise lors de ses nuits de gardes de se nourrir exclusivement de plats préparés surgelés. Sa tension était juste sous le seuil pour être considéré comme de l'hypertension et elle allait devoir faire une croix sur toutes les sources de sel. 

 

Fatma s'adosse sur la chaise longue et ferme les yeux laissant la chaleur du soleil nimber son visage. Son corps courbaturé par les activités de la journée se détend et elle sourit en repensant à Edith. C'était comme si c'était hier qu'elles se saluaient à la sortie de l'école attendant que leurs enfants rassemblent leurs affaires. Les après-midi jeux où elles papotaient durant des heures et les vacances que leur familles avaient passé ensemble semblaient pourtant bien loin. 

C'était un constat amer pour Fatma de s'apercevoir qu'elle n'avait pas su préserver leur relation. La vie l'avait entraîné dans une tempête de gardes et de d'activités périscolaires, ne lui laissant aucun répit pour se rendre compte qu'elle n'avait ni vie sociale, ni hobby. 

 

Et maintenant que la retraite est arrivée elle ne savait pas vraiment ce qu'elle pourrait faire. Lorsque l'offre du séjour s'était présentée, elle avait été ravie de trouver des solutions pour ses douleurs mais elle commençait à penser que cela pourrait être un bon moyen de tester de nouvelles choses et en apprendre plus sur ses goûts.  Pourquoi ne pas s'essayer au graffiti après tout. 

 

Rédaction : Aurélie El Aïdouni


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